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lundi 13 décembre 2010

Entretien avec Jacques Guyonnet

 Entretien avec Jacques Guyonnet,
auteur du roman "Le douzième évangile", édition La Margelle

100% Auteurs : On ne compte plus les livres dont tu es l’auteur et les autres activités à ton actif. Cependant, comment sont nées tes premières phrases ? D’ailleurs, est-ce dans une période particulière ?

Jacques Guyonnet : J'ai écrit depuis ma jeunesse. Je me suis fait remarquer à Genève par un critique littéraire très sympathique qui m'a consacré un petit article intitulé "l'âge catastrophique". Je me prenais en effet pour un grand phare solitaire au bord du monde et ça se terminait par quelque chose du genre "la mer en me frappant m'a appris le ressac!" Tu auras plus de réponses sous 4).

100% Auteurs : On te dit souvent (je te cite) que tes livres sont touffus. A ton avis, pourquoi tes lecteurs le disent et/ou le pensent ?

Jacques Guyonnet : Les lecteurs sont habitués à des récits linéaires. Je suis une équation non-linéaire du nème degré Marie, donc probablement déconcertant par instants. Je suis attiré par la dynamique des flux mais, au cœur de ceux-ci, on trouve une pensée globale. Cela dit je m'en étonne souvent et dans la plupart de mes préfaces je dis au lecteur "lisez-le" au niveau que vous voulez. Ce peut être un polar ou une réflexion philosophique. Je crois qu'il est bien de sauter les notes de bas de page, elles m'amusent mais elles coupent le récit.

A part ça tu trouveras aussi des textes très simples et épurés dans ma production. Par exemple Les îles ne sont à personne, dans lequel chapitre j'entreprends de geler le monde et de descendre dans le froid pour… ramener celle que j'aime du royaume des morts.

100% Auteurs : Il est vrai qu’au premier abord, ton style est surprenant, bien qu’on se laisse malgré tout rapidement emporter. As-tu toujours écrit dans le même style ?

Jacques Guyonnet : J'écris comme je parle, Marie, si on se rencontre un jour tu le constateras. Il y deux choses que j'aime bien souligner : l'une est que je suis un homme libre, je ne m'impose aucune contrainte artificielle de style ou de forme et prends assez naturellement le langage de mes personnages; l'autre c'est que pratiquement tout ce que je mets en scène est réel, est arrivé, vécu. Je n'ai pas beaucoup d'imagination, je compose, j'arrange c'est tout.

100% Auteurs : Il semble que tu aies un vrai besoin de te diversifier en matière artistique et ce dans des domaines différents. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Jacques Guyonnet : Ne sommes-nous pas tous polyvalents aujourd'hui ? A 11 ans je suis tombé dans la lumière, au bord du lac d'Annecy, mon cousin jouait la Ballade en sol mineur de Chopin. J'ai été envoûté. Dès cet instant je savais ce que je voulais être. Une foutue chance! J'ai fait la carrière que tu peux suivre sur le Net, comme compositeur, chef et "homme d'action du monde de la musique". Mais… pour mes parents,  j'ai accepté d'entrer à la Faculté des lettres et je lisais beaucoup très jeune.

Ecrire un livre me paraissait impensable, hors de ma portée. J'ai pondu des nouvelles qui ont été publiées ça et là mais j'avais une sainte trouille de la grande forme, je me sentais sans qualités. J'ai surpris tout le monde à Genève en déclarant que, vers les années 1985, il fallait arrêter notre centre de musique contemporaine qui avait 25 ans d'activité et avait réellement animé cette cité genevoise. Ne pas tomber dans le musée. Passer à autre chose.

En 1993, j'ai perdu mon épouse et ces années-là je suis devenu père et mère pour mes enfants. En même temps, je créais des studios d'enregistrement et de musique électronique. Dans ces années-là une voie s'ouvrait en moi pour dire, rendre compte, écrire. J'ai publié mon premier roman en 1998. Après? Je suis devenu un pommier. Je donne une pomme par an, plus ou moins.

100% Auteurs : Si on revient sur ton dernier livre, "Le douzième" comme tu l’appelles, comment est "né" le personnage de Mélissa et surtout pourquoi en avoir fait une "obsédée sexuelle" ?

Jacques Guyonnet : Mélissa c'est La Vie! Au début son personnage m'amuse et j'espère que je suis arrivé à me mettre dans sa peau. Mais rapidement mon adorable folle de sexe s'aperçoit de l'horreur du monde autour d'elle. Elle n'est que générosité, joie de vivre, elle dit qu'elle veut baiser tout ce qui vit mais en réalité on pourrait substituer le verbe aimer.

Je me suis beaucoup amusé de ses frasques et de ses déconnades. J'adore les chapitres "Romance" qui sont les échos de mes années 60/70. Toutefois Mélissa dérange le Pouvoir. Le Sarkodile ne l'aime pas ni les maîtres du monde. Il faut alors parler d'elle non plus comme une obsédée sexuelle mais comme la fontaine de la vie. Tu connais la fin…

100% Auteurs : En te lisant, et pas seulement dans "Le douzième", on s’aperçoit que la femme tient une place particulière. Quelle est cette place ?

Jacques Guyonnet : Centrale ! Dans beaucoup de mes livres j'ai écrit que sans "elles" je ne serais rien. Je me limite à cette déclaration avec ta permission car je serais intarissable !

100% Auteurs : Peux-tu expliquer aux lecteurs ce que tu entends lorsque tu dis : "C’est vrai que j’écris comme un compositeur avec une polyphonie d’idées"

Jacques Guyonnet : Je traite naturellement plusieurs sujets en contrepoint, comme en musique dans la polyphonie. Quand je dirige un orchestre je dois suivre beaucoup de choses simultanées mais pour l'auditeur il n'est qu'un seul résultat.

En littérature nous ne disposons pas de cette possibilité de parler à plusieurs voix simultanées (à part sur les plateaux de la tévé française…) donc il faut créer une sorte de champ de signes et passer de l'un à l'autre avec passion ou en s'amusant. Cela peut déranger le lecteur ou lui plaire. J'adore suivre un thème fort et, sans lâcher prise, me permettre des incises, des coupures qui peuvent être très étrangères au sujet traité mais qui finalement apportent quelque chose.

Parfois j'écris des chapitres de trois lignes (c'est d'Ormesson qui m'a appris ça) et quelquefois j'ai l'ambition d'écrire un chapitre difficile, interminable, aride comme un pierrier, démesuré, comme "La compassion" dans La Tempête et "La musique le dit" dans L'été Jolene. Je sais que je perds des lecteurs mais je dois dire ce qui est en moi.

100% Auteurs : Et si on parlait de tes projets à venir, parce que forcément il y en a, on n’en doute pas. Quels sont-ils ?

Jacques Guyonnet : Dans le simple il y a deux livres que je n'ai pas publiés. La Tempête, fini en Arizona en 2001. Les tours jumelles tombent et, à une Amérique Clintonienne, se substitue celle de l'infâme Bush. Je ne puis me résoudre à publier ce livre (dernier de ma première trilogie) car je ne reconnais plus ce pays qui est le décor de la narration. Avec le recul je vais le faire en m'adaptant à l'histoire récente. Et aussi L'Origine Elle, qui, toujours sous la forme d'un roman  a l'ambition de proposer un structuralisme de la sexualité humaine. Je crois que je n'y parviendrai jamais car je me refuse à écrire des textes ennuyeux et, traiter de manière vivante de Nature et Culture dans nos rapports sexués, est un foutu défi.

Le livre est écrit, je m'y attaquerai après La Tempête. Ça pour l'écrire.  Pour le vivre, j'aime rencontrer des gens simples et aider mes amis ou des gens que je croise, ce qui compte c'est donner, c'est de ne jamais accepter l'existence de l'effroyable ploutocratie actuelle qui se s'exhibe avec une indécence sans égale.

100% Auteurs : Concernant l’écriture, t’imposes-tu des règles (gestion de temps, rituels…) ?

Jacques Guyonnet : Non. Rien. Pour mes partitions comme pour mes livres ça a toujours été la même chose. Une longue giclée. Une image, une voix, une musique, quelque chose fait office de catalyseur. Je vois alors l'œuvre devant moi, sous la forme d'une petite sphère lumineuse dont je dois m'approcher et dont je dois exprimer le contenu. Tout à fait comme à la fin du 12ème Evangile… Je me mets alors en état de création heureuse.  Je suis capable de continuer à écrire même si on parle à côté de moi, même si le téléphone me sollicite, même si le monde alentours se comporte comme une branloire pérenne, il devient secondaire, il devient une parenthèse.

Je n'ai pas d'heure particulière pour déchiffrer la vision initiale et, en général, à part le premier livre que j'ai failli abandonner, je rédige mon livre en un ou deux mois, souvent en été. Après… c'est une autre histoire, ce n'est plus le même état de grâce. Je sais très bien que la petite explosion originelle provient d'une longue et lente maturation mais ça se passe comme ça, n'en déplaise à des planificateurs comme Eco.

100% Auteurs : Quels sont tes "maîtres" littéraires, ceux chez qui tu puises peut-être ton imagination ou bien ceux qui t’ont amené sur le chemin de l’écriture ?

Jacques Guyonnet : Ah! (Dans un ordre très approximatif d'entrée en scène) Molière, Homère, Cyrano (…), Hugo, Balzac, Rimbaud l'éternel, San Antonio, Nerval, Baudelaire, Borgès, Roger Caillois (un seul livre suffit, L'écriture des pierres), Abraham Moles l'un des grands méconnus de la culture française, Valéry pour quelques éclats. son cimetière marin et son mépris des philosophes langue de bois, Eco qui se montre plus sublime dans ses essais que dans ses romans, Carlos Castaneda (quand j'étais au Mexique, l'un de ses textes m'a sauvé la vie),  Muriel Cerf pour Une pâle beauté, Christian Bobin pour Le très bas, ce banlieusard du Creusot qu'il était de bon ton de tourner en dérision dans les milieux littéraires pharisiens , Rushdie pour Fury, beaucoup d'Américains dont Silverberg et Scheckley, d'Ormesson jusqu'au 11 septembre, François Solesmes dont une page m'a mis au bord des larmes, Jean-Luc Hennig ce Suisse incompris mais qui a donné des livres étincelants, Clarissa Pincola Estes pour Femmes qui courent avec les loups (elle a dit sur les femmes, en quelques lignes,  ce que je n'approche que maladroitement en 13 livres…), toute une catégorie de la littérature française que l'on ne cite jamais et qui est celle de la chanson, ensemencée de textes sublimes,  et… jamais tenté par Proust, Flaubert ennuyeux, Rousseau à petites doses, une rêverie surtout  (on la retrouve modulée dans quasiment tous mes bouquins), les post modernes qui me font mourir de rire mais ils n'ont rien à nous dire (lis le sinthome de Lacan (mais à petites doses), voici donc mes like et mes dislike et… tous ceux que je ne puis te citer ici et que j'ai coutume de nommer Mesdames et Messieurs les titres oubliés!

100% Auteurs : Que penses-tu de la littérature actuelle, et surtout du monde de l’édition tel que nous le voyons de nos jours ?

Jacques Guyonnet : Là tu es dure avec moi! Je vais faire l'impossible pour ne pas être grossier. Je n'utiliserai pas les verbes du type chier et le terme générique de cons (un mot purement intraduisible en d'autres langues).

Je pense trois choses. L'une est relative au mainstream. On a beaucoup parlé de malbouffe on doit se mettre au mal-lire. Mainstream a plus de sens que "populaire". Ça signifie obligation de consommer tel ou tel produit. On dit beaucoup que le Goncourt est attribué d'avance à Huèle Bec. Si c'est vrai c'est sinistre.

On dit aussi que ça permettra de tirer d'office 200'000 ex de plus sans risque. No comment! L'orgueilleuse littérature serrait ainsi totalement aux mains des marchands. Oui, mais ces marchands ont changé, ils ne sont plus les mêmes. Instruits par les techniques américaines ils planifient ce que nous devrons lire, voir, manger et aimer. Même la dénonciation leur profite sous forme de pub. Je pense que l'avidité s'est totalement emparée du monde de l'édition et je pense que les éditeurs ont des problèmes d'argent. Donc il n'est aucune raison pour que ça s'améliore.

A New York (il faudrait retrouver l'info dans les inrock) il y avait environ 7'000 librairies. Il en reste aujourd'hui une dizaine. C'est ce qui se passera chez nous aussi dans la mesure où nous suivons la pente du néo-libéral.

Donc pour 1) je pense que le monde du mainstream est irrespirable, vénéneux et… quasi inévitable.

Pour 2) Je pense que nous vivons assez mal une révolution du type tsunami : Internet fait au livre ce qu'il a fait à la musique depuis environ 15 ans. Tuer les majors. Je ne crois pas tant que ça que le livre numérique remplacera le livre papier. Pas d'ici longtemps. Par contre le monde de l'édition a explosé. Je connais des imprimeurs de grande qualité et ils me disent tous que les éditeurs (qui se multiplient) impriment à la demande. C'est à la fois bien et mal : pour l'aspect négatif j'en reviens à ma réflexion, à Lyon, je dirigeais à l'Opéra dans les années 60, je suis entré dans une librairie et, pour la première fois j'ai été dépassé par la quantité de titres disponibles.

Je n'arrivais pas à m'orienter. Je me suis dit "le jour où il y aura autant d'émetteurs que de récepteurs nous serons dans le chaos absolu". Tu connais la suite, chaque rentrée 700 romans dont un dixième iront jusqu'à l'étal des libraires et un centième fera carrière. En réalité c'est beaucoup plus que ça! Je connais le chiffre des livres envoyés aux journaux, je ne te le dis pas, c'est du rêve. L'aspect positif est que beaucoup de talents qui seraient barrés par les grands éditeurs trouvent des maisons jeunes et une chance de trouver des lecteurs.

Propos recueillis par Marie BARRILLON
pour la revue 100% Auteurs N°2


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