Nouveau roman : "Elles : le chemin des révélations" à découvrir, ici !

mardi 28 avril 2009

Le soir autour des maisons

« Brune-Olive n’avait pas tout dit à propos de Roland. Celui-là était de ces amants qui quelquefois font naître une chanson dans le cœur des femmes. Irrésistiblement, elles se mettaient à chanter, et alors, il dansait. Et quelle danse ! Brune-Olive en avait gardé le souvenir contrit sur son front. Une cicatrice en forme de Y au-dessus du sourcil. Le schéma de sa chute. »
Extrait du livre

BRUNE-OLIVE, SOLANGE ET LES AUTRES…

A La Garde, petite bourgade tranquille, « un quartier, pour se donner une idée par rapport aux mandarines. » La vie y coule simplement, sereinement, sans grande surprise, voir même apaisante, « même citadine, La Garde était restée bucolique car autour des maisons, pour faire joli, on avait laissé de l’herbe. » Dans ce hameau, devenu « un huitième de ville », vivent des habitants si différents mais tellement sympathiques, attachants.

Il y a Solange, femme discrète, soumise et dévouée à son mari Paulet, imbu de lui-même, pédant aussi. Puis, il y a Josefa qui est partie vivre chez Diane, sa voisine d’en face. Diane est une femme un peu loufoque. Elle profite du fait que Josefa a un peu les méninges à l’envers pour la garder chez elle sous prétexte qu’elle est encore fragile après une catastrophe qui a endommagé sa maison. Mais, l’époux de Joséfa aimerait bien que sa femme rejoigne le nid familial. Ce n’est que parce que Joséfa fait tout dans sa maison que Diane refuse de la voir partir. Et puis, il y a Roland et Brune-Olive.

Roland, ancien taulard, trop gentil et qui se laissait emporter par de louches camarades, se retrouvait régulièrement derrière les barreaux, lui qui ne peut s’empêcher d’ouvrir toutes les portes pour voir ce qui se trouve de l’autre côté. Toutes les portes, même celles des coffres-fort, « car c’était cela, surtout, qui le captivait, l’horizon qu’elle scellait, et était-ce le même horizon à chaque fois ? » Un peu niais le Roland, mais tellement gentil.

Brune-Olive est tout son opposé. Une femme volontaire, qui sait ce qu’elle veut. Les choses en ordre, la langue au bord des lèvres plutôt que dans sa poche. Toujours prête à exprimer le fond de sa pensée, à n’importe quel instant.
Brune-Olive et Solange sont les meilleures amies du village, du monde peut-être aussi, du moins le leur en tout cas. Inséparables, bras dessus, bras dessous, chaque fois que cela leur est possible.

QUAND LE DESTIN S'EMMELE !

Ce roman porte une très belle histoire qui ne laisse souffler son lecteur qu’à la dernière ligne. Tendrement azimuté, d’une légèreté qui fait sourire. Ni folledingue, ni excessif, tout simplement drôle. Mais…

Brune-Olive apprend qu’un mal la ronge, incurablement et qu’elle n’en a plus pour longtemps. Alors, elle s’active et emploi son temps à écrire des tas de lettres parce que justement celui-ci lui est compté, « Le temps n’est pas un jouet qu’on offre aux petits garçons qui veulent faire le monde. » Des cartons pleins de ces lettres que Roland devra envoyer après sa mort pour lui rendre un semblant d’existence aux yeux de tous, malgré son absence.
Brune-olive est aimée de tout le monde, et elle le sait.

Tout au long des pages, les sentiments sont là, au bord du cœur et le sourire sur les lèvres. L’auteur, de son style bien personnel, caresse les mots avant de les poser. Les personnages sont pleins de couleurs. Tous deviennent attachants. On se laisse prendre par cette folie douce, par la tendresse, ça fait du bien au cœur et quel plaisir pour l’esprit. Une comédie bien sympathique à lire d’une traite et sans retenue.

L’auteur nous emporte dans un tourbillon de tendresse, de douceur.
Le ton est léger et la lecture n’en est que plus agréable.

Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : Le soir autour des maisons
Auteur : Murielle Levraud
Editions : Julliard
ISBN 13 : 9782260017615
Prix : 17,00 euros

lundi 27 avril 2009

Prenez l'avion

« La vie a pris un goût bizarre depuis la forêt. Je suis de l’autre côté d’un miroir, il me semble, tout est comme avant et pourtant la saveur des choses s’est légèrement altérée, j’ai perdu en lourdeur, en légèreté. Ce que j’ai gagné, je l’ai dans la bouche mais je ne sais pas le formuler. Je le dirai en français quand j’aurai appris à parler. Ou bien je ne le dirai jamais. »
Extrait du livre

LA CATASTROPHE...

Lindsay émerge, l’avion dans lequel elle est, s’est écrasé. Il ne reste que des débris, des corps parfois sans tête et même des morceaux de corps épars. La carlingue est éventrée et des bouts de taules froissées sont éparpillés, çà et là. Elle parvient à s’extraire de cette chose qui ne ressemble plus du tout à un avion. Blessée à la hanche et au mollet, elle ne sent même pas la douleur tant la violence de l’accident était extrême. Tout ce qu’elle voit lui paraît si irréel. Pourtant…

Un homme rescapé, lui aussi, lui vient en aide malgré ses propres blessures. C’est Emmanuel. Ils se soutiennent accrochés l’un à l’autre, marchant droit devant eux « sur trois jambes », dans l’espoir de trouver des secours. Après une très longue marche, enfin les secours arrivent. En les apercevant, Emmanuel s’écroule et sombre dans le coma après avoir soutenu, presque porté Lindsay.

Lindsay et Emmanuel sont transportés à l’hôpital. Ils sont dans la même chambre, côte à côte. Puis, chacun est rapatrié dans son pays d’origine. L’Angleterre pour Lindsay, la France pour Emmanuel. Mais Lindsay ne supporte pas cette séparation. Pas maintenant, pas après ce qu’ils ont vécu et partagé. Alors, elle n’a plus qu’un seul désir, celui de retrouver « l’homme de la forêt » comme elle le nomme. Pourtant, ils n’ont pas échangé un mot, même lorsque Emmanuel lui faisait un garrot à la jambe pour qu’elle ne se vide pas de tout son sang. Ils ne se connaissent pas. Mais, ils ont vécu ce tragique accident en même temps, pas ensemble, mais en même temps, dans le même avion.

Ils en garderont les mêmes images de corps disloqués, décapités, de taules déchirées comme de vulgaires morceaux de papier, cette carlingue en lambeau. Avant même de décoller, l’avion avait déjà son compte de victimes. Trois cent quarante neuf personnes en sursit avait pris possession de leur siège confortable pour leur dernier voyage.

REAPPRENDRE A VIVRE DANS UNE NORMALITE LOGIQUE...

Lindsay sort de l’hôpital et décide de partir. Se rendre à Paris est plus qu’une évidence. Retrouver Emmanuel c’est sa survie, peut-être même leur survie, il est toujours dans le coma.
Il lui faut combattre ses démons mais elle n’y parvient pas. Sa seule idée c’est Emmanuel
Lorsqu’il sort du coma, elle est là. Au début, il ne se souvient pas vraiment. Mais petit à petit, l’accident lui revient à la mémoire.
Ils s’acceptent l’un l’autre, un peu comme s’ils étaient chacun devenu la béquille de l’autre.
Au cœur de leur tourmente « tout est bon pour échapper à l’intolérable. »

Dans pareille situation, chacun d’entre nous déploiera ses propres moyens de défense face à la terreur des images enregistrées par notre conscient et même notre inconscient. Personne n’est en mesure de prévoir à l’avance ses réactions lors d’un tel accident et les conséquences qui auront greffé leurs empruntes en nous tant que nous n’y sommes pas confrontés.

Généralement, nous sommes surpris après une catastrophe d’une telle ampleur, nous touchant de si près, de constater que nos réactions et nos agissements sont loin de ce que nous aurions pu imaginer. Car en tout état de cause, on ne peut pas s’y préparer car l’instinct de survie de tout être humain se déclenche au moment précis du danger ou du drame. Le mode « préparation » n’existe pas pour l’instinct de survie. C’est un état à déclenchement spontané qui ne laisse aucune place aux hypothèses, ni aux suggestions.
Emmanuel s’en aperçoit lorsque Lindsay lui raconte « son comportement dans la forêt, cette énergie héroïque qui l’a poussé à marcher plus de cinq heures […] avant de se laisser aller à sa propre fatigue, sa propre lassitude. Il ignorait en avoir le potentiel. »

A DEUX, LES PEURS ET LES ANGOISSES SONT MOINS EFFRAYANTES...

Lindsay est auprès d’Emmanuel, et c’est ensemble qu’ils vont devoir apprendre à remonter à la surface de leur vie. C’est ensemble encore qu’ils vont apprendre à vivre avec les morts de l’accident, ces mêmes morts qui viennent visiter leurs nuits et parfois aussi leurs jours. Et c’est ensemble aussi qu’ils vont monter de nouveau dans un avion, comme on remonte sur une bicyclette après une chute, et combattre tous les démons de la peur qui les envahissent, rodant autour d’eux comme des amis abandonnés pour devenir de vrais amis dont ils n’auront plus peur et ainsi apaiser leur avenir parce que « la vie est une aventure, il suffit de la vivre. ».

On n’oublie pas les images d’une catastrophe qui s’est déroulée dans un périmètre si proche, ni la terreur qui s’immisce partout. On apprend juste à apprivoiser l’ensemble pour pouvoir vivre de nouveau sans s’engoncer sous un carcan de culpabilité pour quelque chose dont nous ne sommes pas responsables. La peur, c’est cette ennemie qui paralyse empêchant toute vie pour ne laisser qu’une survie. C’est main dans la main que Lindsay et Emmanuel vont combattre cette peur car « il est inutile de subir ce qu’on peut s’épargner, la peur en premier. »


L’auteur nous emporte dans le cahot d’une histoire tragique où deux êtres finiront par se retrouver plus proche encore dans le cocon de l’amour.
Le texte se trouve être parfois répétitif.
Un roman agréable qui se laisse lire sans s’ennuyer.

Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : Prenez l’avion
Auteur : Denis Lachaud
Editions : Actes Sud
ISBN 13 : 9782742781072
Prix : 18,00 euros 



dimanche 26 avril 2009

Ne vous résignez jamais

« Ce récit n’est pas seulement une réponse à la jeune curieuse qui m’interrogeait. Il veut aussi rappeler aux jeunes femmes qu’en défiant le pouvoir (Manifeste des 343) et la loi (Le procès de Bobigny) leurs aînées n’entendaient pas seulement octroyer un droit aux femmes mais les aider à devenir sujet de leur vie. Et de la liberté de la donner. Ce manifeste renouait avec la tradition constante des intellectuels en révolte ou en recherche. Sauf que ce texte, conçu et rédigé exclusivement par des femmes, constituait en soi une originalité. »
Extrait du livre


LA CAUSE FEMININE...

Ce livre est un témoignage fort sur le féminisme tel que l’auteur le vit, le ressent, d’hier à aujourd’hui. Il nous livre une lutte continue dans le temps avec ses évolutions, ses différences, ses avancées, ses progrès, ses nuances. Mais aussi avec la manière qu’ont les femmes ou jeunes femmes de nos jours de le mettre en avant ou de l’utiliser, sans savoir ce qu’il a fallu combattre aux femmes d’autrefois, tout comme celles de nos jours. Ces femmes à qui aujourd’hui nous devrions rendre grâce pour les remercier de la condition que nous avons dans notre société.

Gisèle Halimi, très engagée, s’est portée très tôt à la cause des femmes de tout temps en faisant de cet état son combat. Elle relate son histoire dans ses luttes, notamment aux côtés de Simone de Beauvoir dont elle voue une véritable admiration sans pour autant être complaisante. Elle s’explique à cœur ouvert sans se cacher de ses actes qu’elle assume librement.

C’est dans ses années d’adolescente de jeune fille tunisienne qu’elle a pris conscience de toute la mesure de la condition féminine autour d’elle dans un monde qui ne leur appartenait pas, auquel elles n’avaient aucun droit de se mesurer.

A ce moment, elle découvre qu’une femme devait forcément appartenir à un homme pour être une femme digne, suivant les propos de sa mère : « De toute manière, une femme doit appartenir à un homme, son mari ! » La bulle de l’enfance éclate brutalement en constatant que finalement son « corps devait échoir, en toute propriété, à un autre. » Elle n’est pas d’accord, et se révolte.

A cette époque, l’avortement était illégal, et la contraception n’existait pas. Les femmes, ne serait-ce que pour leur corps, n’étaient pas décisionnaires. Elles n’étaient pas en droit de choisir si elles voulaient ou non procréer, ni à quel moment elles le souhaitaient.

Ce fut là, le second choc lorsque l’auteur se retrouve enceinte à dix-huit ans. Elle décide en son âme et conscience de faire un avortement, certes illégal, mais lui permettant de prendre ses propres responsabilités et en même temps être maîtresse de son corps en se donnant le choix de procréer au moment qu’elle jugerait le mieux pour elle.

POUR LA LIBERTE DES FEMMES...

Ensuite, le combat était lancé engendrant toutes les luttes à la cause des femmes qu’on lui connaît où elle s’investit sans limite. Comme elle le déclare : « par la revendication (fondamentale) du droit à l’avortement, je m’engageai dans le combat féministe. Il occupa ma vie, ces années là, dans toutes ses dimensions, du social au culturel en passant par la loi et la politique. »

Au cœur du « manifeste des 343 », appelé « manifeste des 343 salopes » par un journal satirique, ces femmes combattent et dénoncent : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. » (extrait du manifeste publié en 1971 par le nouvel observateur)
Ce manifeste qui avait fait grand bruit, permis aux femmes de se rallier à cette cause.

UN VRAI COMBAT POUR DE VRAIES VALEURS...

Fondatrice et coprésidente de l’association Choisir La cause des femmes, Gisèle Halimi assure avec un collectif d’avocats, la défense d’une jeune fille de seize ayant avorté après un viol. L’opinion publique se soulève et s’élance dans de grands débats.

Gisèle Halimi met à jour dans ce livre, de grandes vérités. Certaines d’ailleurs apportant de nouvelles réflexions, permettant de prendre conscience de ce que nous vivons, nous les femmes d’aujourd’hui, comme une normalité sans imaginer leur naissance et comme le dit l’auteur : « Il faut refuser les attitudes convenues, se livrer sans autocensure et avec un certain courage au scalpel, souvent douloureux, de la sincérité. » Certains pays sont encore très loin de cet état de liberté des femmes.

Nous nous devons de faire honneur à toutes ces luttes qui nous permettent de vivre plus sereinement, de faire nos propres choix et de prendre nos propres décisions sans avoir à en référer à qui que ce soit. Mais ne gâchons pas cette liberté acquise par des militantes tout en gardant à l’esprit le titre lui-même évocateur « Ne vous résignez jamais. »

Un témoignage important, utile mais aussi poignant. A mettre dans les mains des anti-féministes et de tous ceux qui ignorent ce qu’était le statut des femmes il n’y a pas encore si longtemps de cela.

L’auteur nous emporte dans ses combats. Elle nous éclaire sur la cause des femmes, d’hier à aujourd’hui en nous livrant dans le même temps une part de son histoire sans se cacher.

Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : Ne vous résignez jamais
Auteur : Gisèle Halimi
Editions : Plon
ISBN 13 : 9782259209410
Prix : 20,90 euros



samedi 25 avril 2009

Tout est toujours possible

« Dans la cuisine, entre mon jus d’orange où il reste deux pépins et mes toasts insuffisamment grillés, je guette le premier silence pour lancer mon pavé dans la mare. Comme un fait exprès, Agnès, qui laisse toujours la parole à l’Homme, aujourd’hui l’accapare sans vergogne. Telle une amoureuse au début d’une idylle, elle ne peut s’empêcher d’évoquer le nom de l’élu. »
Extrait du livre
 
QUAND LES STATISTIQUES VIENNENT METTRE LEUR GRAIN DE SEL !

Après trente-quatre ans de mariage, d’amour, de concessions et de bonheur, Agnès se rend compte qu’il y a autre chose à vivre que cette petite vie bien rangée, certes agréable, mais sans surprise, avec un mari macho.
Trente-quatre de mariage, la cinquantaine passée et c’est la bascule qui se met en marche lorsque, Agnès tombe sur une statistique dans le journal : « Le nombre de couples de cinquante ans et plus qui se séparent a augmenté de 52 % en quatre ans. Et le phénomène est en train de gagner les couples appartenant à des générations plus avancées. »

Une profonde réflexion s’engage dans son esprit provoquant un grand remue ménage l’amenant une fois de plus à démontrer que sa devise est d’une réalité constant : « Tout est toujours possible ».
Face à une telle statistique, on ne hausse pas les épaules pour ensuite faire l’ignorant. Pierre, son mari, l’apprendra à ses dépends. Agnès bouleverse leur vie, leur intimité, leur couple pour laisser derrière elle ces trente-quatre années de sourire, d’efficacité, de disponibilité pour son couple, ses enfants, sa famille. Une irréprochabilité à toute épreuve et un amour sans condition, tel un petit soldat. Elle décide de refaire sa vie.
Pierre ne comprend pas comment Agnès peut passer d’une irréprochabilité hors pair, et un amour sans faille à une vie d’écrivain puis un amant pour finalement le quitter sans difficulté, dans une aisance presque parfaite, en douceur et sans cri comme elle l’a toujours fait en toute occasion.

LA REALITE EST SI EVIDENTE...

Tout aurait pu continuer ainsi s’il n’y avait pas eu cette statistique dans le journal comme une sonnette d’alarme, un signe et si son cher mari n’avait pas fait preuve d’autant d’indifférence. Un manque d’intérêt exaspérant. Lorsque Agnès la lui a lu, il aurait pu montrer une certaine importance à cette lecture, même minime au lieu de cette réponse contredisant systématiquement la statistique et la logique de sa femme. Puis cette réflexion pleine de désinvolture : « oh, tu sais…les statistiques… », comme s’il n’y avait pas lieu d’en discuter.

De sa rencontre avec Domani, un éditeur, Agnès est sous le charme mais qu’importe, il l’envoûte. Elle voyage, trouvant ainsi la possibilité de mettre des distances entre elle et son mari et lui permettant dans le même temps de réfléchir à grandes enjambées. Mais, Domani n’est jamais bien loin.
Les réflexions d’Agnès sont-elles objectives ? Peut-être pas. Eloignée de son mari tout en étant proche de son amant, l’objectivité ne peut être présente. Finalement, elle quitte son mari pour de bon alors que sa meilleure amie, Aline, a déjà quitté le sien quelques temps avant.
D’ailleurs, les deux hommes sont les meilleurs amis du monde au même titre qu’Agnès et Aline. imperceptible

... QUELLE EST PARFOIS IMPERCEPTIBLE !
 
Tous deux se retrouvent seuls à patauger dans une vie qu’ils n’ont jamais imaginés vivre eux-même un jour tels deux machos se croyant à l’abri au sein du mariage et des conquêtes successives extérieures. Le moindre petit acte de la vie quotidienne se révèle être le parcours du combattant, comme faire fonctionner une machine à expresso à cinq heures du matin. Comment mettre le café ? Sur quel bouton appuyer pour la mettre en marche ? Puis, être heureux comme des enfants à la première goutte passée, tel un exploit.

Ils réalisent que malgré leur position sociale bien assise, ils ont chacun partagé la vie de leur femme respective sans les regarder vraiment. Leur petit équilibre s’ébranle nous faisant découvrir leurs défauts, leur faiblesse, leur colère face à la libération tardive et volontaire de leurs épouses. Mais aussi, leur fragilité au point pour Pierre de l’écrire pour oser l’avouer : « Je t’écris pour te dire mes regrets, ma honte, mon chagrin de t’avoir hier si injustement blessée…une fois de plus.» […] « Je t’écris pour te dire enfin ce mot que tu n’as jamais entendu : Merci » Voilà, une belle leçon pour ceux qui campent sur leurs positions de machos, se reposant sur leurs épouses qui ne sont pas les bobonnes devant leurs fourneaux. Car effectivement, la réalité est telle que : Tout est toujours possible.

L’auteur raconte de manière drôle et émouvante un fait devenant de plus en plus courant mais sans déchirure, ni bataille.
Le texte est clair, léger ne torturant pas l’esprit.
Ce n’est pas un roman intellectuel mais il se laisse lire avec plaisir et sourire. Voir nos hommes dans des postures indélicates par manque d’usage prête à rire parfois. Mais ils parviennent avec réflexion et logique à s’en sortir bon gré, mal gré.
A lire au second degré !

 
Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : Tout est toujours possible
Auteur : Françoise Dorin
Editions : Plon
ISBN 13 : 9782259198929
Prix : 19,00 euros  



vendredi 24 avril 2009

Hors de moi

« Liz a pu m’effacer de sa vie conjugale, imposer son complice aux voisins, mais ça s’arrête là ; il ne pourra jamais donner le change à Bourg-la-Reine. Un faux passeport et des souvenirs appris par cœur ne suffisent pas ; on n’improvise pas vingt ans de recherches, d’explorations, de découvertes, on ne peut pas me remplacer professionnellement du jour au lendemain. »
Extrait du livre

L’ACCIDENT…

Si un matin on se réveillait après trois jours de coma suite à un accident et que notre existence passée n’existait plus autrement que dans notre mémoire, qu’elle serait notre réaction ? C’est justement ce qui est arrivé à Martin Harris !
Il sort du coma ne se souvenant plus vraiment de ce qui est arrivé. Une femme est penchée au-dessus de lui, priant de tout son être que Martin s’en sorte.

Cette femme c’est Muriel. Elle est chauffeur de taxi depuis cinq ans. Muriel n’a jamais eu d’accident jusqu’à ce jour où elle conduit Martin. Elle lui explique ce qui s’est passé.
Martin écoute attentivement, quelques bribes lui reviennent en mémoire.

A sa sortie de l’hôpital, Martin rentre chez lui. Il n’a qu’une envie : retrouver sa femme qu’il imagine inquiète. Martin avait dû retourner à l’aéroport en urgence pendant que sa femme, Liz, patientait dans un café tout près de leur futur appartement dont ils attendaient les clés.

C’est à ce moment que Martin était monté dans le taxi de Muriel.

COMMENT PEUT-ON AVOIR EXISTE SANS LAISSER DE TRACE ?

Il n’a pas de clés puisque Liz attendait le propriétaire qui allait les lui remettre. Alors, tout naturellement, il sonne à la porte. Un homme ouvre. Martin croit rêver éveillé. Qu’est-ce que cet homme fait chez lui en pyjama ? C’est insensé ! Sa femme le regarde comme s’il était un parfait inconnu. Elle le regarde mais pas « comme le ferait une épouse qu’on prend en flagrant délit d’adultère. Comme une inconnue qu’on aborde, qu’on importune et qui se détourne. »

Martin ne comprend rien. Que se passe-t-il chez lui ? L’homme le jette dehors. Martin se sent perdu : « J’ai tout perdu, sauf la mémoire. Il m’a volé ma femme, mon travail et mon nom. Je suis le seul à savoir qu’il n’est pas moi : j’en suis la preuve vivante. » Il va se rendre au commissariat, mais on le prend presque pour un fou. Il va à son travail. Partout. Mais personne ne semble le reconnaître. Tous connaissent Martin Harris mais pas sous son apparence à lui. Quelqu’un a usurpé son identité et tout son entourage semble lié dans cette machination. Martin est un anti-OGM et lutte dans ce sens pour les faire interdire.

COMMENT REPRENDRE POSSESSION DE SA VIE ?

Après réflexions et maintes déductions il en vient à penser que les multinationales pharmaceutiques veulent se débarrasser de lui. Il ne peut y avoir d’autres possibilités. Il est persuadé d’avoir été manipulé parce qu’on ne perd pas la raison en oubliant sa vie de la sorte. Il engage un détective privé pour l’aider à dénouer le fil de toute cette histoire mais le résultat l’accable encore plus. Le détective lui rend son rapport en disant : « En résumé vous n’êtes pas né, votre famille n’existe pas, aucun de vos collègues n’a reconnu votre photo, et vos découvertes en botanique ont été faites par un autre. » Mais, Martin ne baisse pas les bras pour autant.

Martin fonce tête baissée pour retrouver son identité. Aidé de Muriel, il va tout retourner pour tenter de retrouver sa vie. Il ne croit pas en ce qu’il découvre et va multiplier les actions qui le mèneront sur de dangereux sentiers, au péril de sa vie et de celle de Muriel.

Parviendra-t-il à faire éclater la vérité, si vérité il y a ou est-il simplement tombé dans la folie en croyant être celui qu’il n’est pas ? Un suspense à la hauteur qui l’emporte sur la raison d’un homme dépossédé de son identité, de son passé, de sa vie.


Une aventure pleine de suspense qui maintient le lecteur en haleine jusqu’au bout de l’histoire.
Texte sans complexité et fluide laissant au lecteur pleine possession pour la réflexion.
L’intrigue est présente tout au long des pages dont l’histoire bien montée offre une chute vraiment inattendue. Un roman où on n’a pas le temps de s’ennuyer mais au contraire où on se laisse emporter avec plaisir dans la vie du personnage.


Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : Hors de moi
Auteur : Didier Van Cauwelaert
Editions : Editions Albin Michel
ISBN 13 : 9782226137449
Prix : 16,00 euros 



jeudi 23 avril 2009

La grand-mère de Jade

« Mamoune, je croyais la connaître, mais je ne la voyais pas comme une femme. C'était juste ma grand-mère. C'est ridicule, je sais, mais en vivant avec elle je suis remplie de questions, de curiosités et même d'indiscrétions. C'est comme si j'avais sous la main un trésor et que je ne sache pas encore bien ce que je peux en faire ou comment l'ouvrir. Elle sait tant de choses que j'ignore. »
Extrait du livre

LA TENDRESSE AU PRESENT...

Si comme moi vous avez entretenu une relation fusionnelle avec votre grand-mère, alors dès les premières pages de ce roman, vos propres émotions vont remonter à la surface de votre cœur. Mais pas seulement, elles vont envahir votre conscient de tous les sentiments que peu à peu il avait mis de côté. Une phrase de ce roman, bien que dans un contexte différent, exprime parfaitement cette introduction : « Un grain de poussière avait suffi à réveiller le passé et le souvenir à peine convoqué reprenait une nouvelle existence, venait redonner au présent la part de ce qu’il était. » Non par l’histoire, mais par les sentiments qu’il dégage ce livre loin d’être un grain de poussière fait revivre vos souvenirs enfouit.

Lorsque Jade apprend de la bouche de son père par téléphone que ses tantes veulent mettre sa grand-mère, Mamoune, en maison de retraite médicalisée, Jade ne l’accepte pas. Elle quitte Paris dès le lendemain matin pour aller la chercher en Savoie où elle vit dans sa ferme, seule puisque veuve depuis trois ans. Jade au volant de sa voiture se pose des tonnes de questions, puis les chasse immédiatement. Elle doit ramener Mamoune avec elle, ce sera toujours mieux que la maison de retraite. Et puis, Mamoune n’aime pas ces établissements. Jade imaginait d’avance ce que Mamoune en dirait : « Ce qui m’ennuie dans ces maisons […] c’est qu’elles sont pleines de vieux. Moi aussi, bien sur, rajouterait-elle, je ne suis plus une jeunette, mais il me semble que vivre en mélangeant les générations ça ralentit. »

Jade charge la voiture des valises de Mamoune et toutes ses babioles et autres petits plaisirs, qu’elle lui avait proposé d’emporter. Elle ferme les volets et le portes pendant que Mamoune l’attend sur le petit banc du jardin. Puis, les voilà parties à l’insu des tantes et de toutes personnes connaissant Mamoune.

Sur la route, Jade jetait de temps en temps un coup d’œil sur sa grand-mère qui s’était assoupit. Elle avait quatre-vingt ans, difficile d’y croire « son âge s’était comme dissous dans l’amour qui émanait d’elle. »
Jade se faisait un souci constant pour sa grand-mère et Mamoune de son côté refusait l’idée de décevoir Jade de quelle que manière que ce soit.

Mamoune, malgré son âge avancé était une femme active, toujours à briquer quelque chose, ici ou là, à cuisiner ou encore repasser. Tout ce qu’elle pouvait faire pour Jade n’était pour elle que plaisir. Jade, quant à elle, était aux petits soins pour Mamoune, et surtout refusait qu’elle se fatigue à faire des extravagances inutiles, épuisantes ou dangereuses.

POUR UNE VALSE DANS LE TEMPS...

Mamoune lui parlait de sa vie, sa jeunesse d’un autre temps, de ses parents d’une culture différente de celle de nos jours. Jade découvrait dans ces récits des facettes qu’elle ne connaissait pas et qu’elle n’aurait pas non plus imaginé. Allant ainsi de découvertes en surprises sur le terrain de sa grand-mère. Tel un diamant que l’on découvre, puis explore et qui nous révèle diverses beautés suivant la manière qu’on aurait de l’observer, puis de découverte en découverte en fonction des différents éclairages utilisés, artificiels ou naturels, chaque éclat révélé reflète autrement chaque fois. Mamoune, c’était cela.

A elles deux, c’était la face et le profile, la droite et la gauche, le cœur et l’âme. La fusion de deux êtres qui s’aiment et que l’écart des années rapprochent plutôt que de les séparer. La fusion de deux êtres avec chacune sa tendresse à donner à l’autre pour les unir et les porter ensemble. Jade qui apprenait à vivre au rythme de sa grand-mère et « qui ne savait pas vivre autrement qu’en courant, s’était mise au pas de la tendresse » pour adapter sa vie à celle de Mamoune.

Mais les surprises ne s'arrêtent pas là, à cette vie devenue commune. Les multiples et petits bonheurs comme les grands emportent nos deux femmes aussi attachantes l'une que l'autre dans un joli tourbillon de plaisir. Chaque jour, elles se découvrent l'une l'autre, faisant de nous leurs témoins, « sans doute faut-il du temps pour qu'arrivent certains échanges. Et nous n'avons plus ce temps d'attendre dans nos vies d'aujourd'hui ».
Ce livre est un petit bonheur à lire sans retenue, « les romans comme les gens se doivent d'être aimables et séduisants. » Et ce roman est plus qu'aimable et séduisant.


L’auteur nous emporte dans une spirale d’émotions intenses. Les yeux picotent mais le cœur palpite, bercé par la tendresse au fil les pages.
La fin est vraiment inattendue et on souhaiterait presque que ce roman s’achève sur une note plus jolie reflétant la teneur du livre.
Une très belle histoire d’amour entre une jeune femme et sa grand-mère où chacune se compare immanquablement. Prenant possession de leur vie respective à travers les souvenirs dévoilés, partagés, offerts comme des présents.

Une multitude de belles phrases donne à réfléchir :

« Bonnes ou mauvaises, les conséquences de nos actes sont toujours des mystères. »
« On ne se projette jamais trop loin dans une réalité quand on aborde le début de la vieillesse. On se voit jeune tout le temps. »
« Au cas où le destin serait aussi fatigué que le hasard, choisissons la simplicité. »
« C’est quand l’âme se refuse le plaisir de vouloir encore, malgré le poids de l’âge, que tout s’en va en lambeaux. »
«  La lassitude de craindre fini par installer son fatalisme. »
«  Tant que le cœur se réveille et combat les outrages du temps, la vie est un trésor. »
«  Je sens que mon cœur fait plus de bruit que les respirations que je retiens. »

Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : La grand-mère de Jade
Auteur : Frédérique Deghelt
Editions : Actes Sud
ISBN 13 : 9782742780396
Prix : 21,00 euros



 

mardi 21 avril 2009

L'alfa roméo

« Des années de paroles, couchée ou assise, ne sont guère parvenues à me guérir de cette chose incurable, qui ne finira jamais. Il suffit parfois d’un seul coup de téléphone pour que ça vire, comme la mayonnaise, pour que le présent ne soit plus envahi que par un seul sujet, pour passer du jour à la nuit, et devenir sèche comme un coup de trique. »
Extrait du livre

DE LA TRISTE SEPARATION...

Après douze ans de très bons services, il faut se séparer de cette voiture relique, l’emmener chez le garagiste qui l’emmènera à la casse. Alors, reviennent à la mémoire de sa propriétaire d’innombrables bons souvenirs. Le cœur se serre, les émotions montent.

La voiture, une Alfa Roméo rouge, prend tout l’espace de l’esprit conscient. Une Alfa Roméo qui en a traversées tellement durant toutes ses années et qui au jour de la séparation fait ruminer sa conductrice.

D’ailleurs, elle ne mâche pas ses mots. Des mots directs, entraînants, bruts. Un franc parler qui soulève. Envoyer l’Alfa Roméo à la casse lui retourne le cœur. Elle aimerait mieux une autre issue Alors elle se torture l’esprit, elle l’admet : « Quand je suis préoccupée, quand quelque chose m’obsède ou me travaille du chapeau, il faut que je m’occupe, que je m’active, que je brique à mort, de fond en comble. » Elle se laisse emporter par les épopées vécues avec cette voiture, et nous les raconte sans prendre de gants mais aussi avec tendresse.

...AU SOURIRE RETROUVE !

L’alfa n’ira pas à la casse, non, une issue plus favorable s’est imposée à la dernière minute. Une autre destinée des plus favorables. Elle est contente, la future ex-propriétaire, son Alfa chérie va partir en Jordanie. C’est plutôt chouette comme fin de vie, royal même. Ce jordanien est arrivé au bon moment, presque trop tard. Juste mais in extremis, il l’a même acheté, elle n’en espérait pas tant. Une belle « opération somme toute très catholique, saugrenue mais catholique, sans lézard précisément. »

Elle retrouve le sourire et continue sa narration de ces années passées avec l’Alfa rouge entremêlées de celles du présent mais avec le plaisir évident de les raconter. Reste tout de même une petite amertume, une pointe de tristesse car même sauvée de la casse, l’Alfa n’est plus là.


Ce livre se lit comme on parle, sans artifice, ni formule bcbg.
Il fait sourire par certaines expressions. Un vrai plaisir.
Un peu trop court. On arrive à la fin sans même s’en rendre compte.
Un récit sympathique où l’on ne se pose pas de question. La lecture se fait rapidement mais avec beaucoup de plaisir, ne serait-ce par ce franc parler qui lui donne de la légèreté.

Marie BARRILLON


Informations sur le livre :

Titre : L’alfa roméo
Auteur : Annie Cohen
Editions : Zulma
ISBN 13 : 9782843044663
Prix : 9,50 euros




vendredi 17 avril 2009

Entretien avec Julie Saltiel

Entretien avec Julie Saltiel
(La cinquantaine bien tapée, Editions Denoël)

1001 livres : Si tu n'avais pas été professeur de Philosophie, vers quel métier te serais-tu tournée ?

Julie Saltiel : J’aurais été comédienne ou psychanalyste, j’ai d’ailleurs pris des cours de théâtre et commencé des études de médecine avant d’être happée par la philosophie.

1001 livres : N'est-il pas difficile de dissocier la philosophie (ton domaine) du roman ?

Julie Saltiel : Si, c’est très difficile, car la philosophie relève essentiellement d’un travail minutieux du concept et fait donc appel à la « pure intelligence », tandis que la fiction littéraire fait appel à l’imagination, au rêve, à la subjectivité, à tout le contraire quoi.
Cela fait donc de moi une personne clivée, mais c’est un clivage créatif.

1001 livres : Lorsque tu écris, t'imposes-tu une certaine organisation ou au contraire, te laisses-tu une liberté totale ?

Julie Saltiel : Pour la philosophie, une organisation draconienne s’impose, tandis que pour la fiction, les conditions idéales pour moi sont celles d’un lâcher prise total, d’une sorte d’ « irréfléchissement » ; et comme je suis insomniaque, j’aime écrire la nuit, plus propice à cet abandon de l’esprit. Dans les deux cas le silence est d’or.

1001 livres : Y aura-t-il un autre roman après "La cinquantaine bien tapée" ?

Julie Saltiel : Oui, un autre roman est en écriture et en souffrance aussi, car j’ai commencé en même temps un livre de philosophie.

1001 livres : Pour revenir un peu sur le sujet de ton roman, la cinquantaine est-ce si déroutant ?

Julie Saltiel : Oui c’est une forme de « crise » existentielle, de bouleversement biologique, de « nostalgie » (celle d’une jeunesse certes lointaine mais encore proche par le souvenir), d’une perception plus intense du temps qui passe, de la réduction d’un certain nombre de possibles, de la peur nouvelle de la douleur. Tout cela évoque en filigrane l’idée d’un « basculement ».

1001 livres : Et par rapport à la crise de la quarantaine que nous connaissons tous, quelles sont les différences, s'il y en a, selon ton avis personnel ?

Julie Saltiel : Je pense qu’à chaque « tournant de la dizaine » il y a crise, mais celle de la cinquantaine est, me semble-t-il, la plus aigue, autant pour les femmes que pour les hommes d’ailleurs, car elle s’accompagne de changements irréversibles dans le corps et dans l’esprit ; et ces changements beaucoup moins « subtils » et « discrets » que les précédents nous rapprochent avec plus d’évidence de la « vieillesse ». Ils nous rappellent avec force ce que nous ne sentions auparavant que très indistinctement : le fait que nous sommes mortels.

Propos recueillis par Marie BARRILLON


La cinquantaine bien tapée

« La perte de mes repères était due à la trop longue fréquentation du même homme, m’habituer à ses tics, à sa mauvaise foi qui me tenait lieu de vérité, à ses faiblesses qu’il maquillait en forces, à son impuissance à me rendre heureuse qui me faisait penser que je n’étais pas capable de l’être, à son rationnement sexuel qui faisait de moi une nymphomane, bref, à sa réalité qui était devenue LA réalité. »
Extrait du livre

REMETTRE SA VIE EN QUESTION... PAS SI SIMPLE...

Dès les premières lignes le ton est donné. Le terme est direct, sans artifice. Le parler est franc, parfois sec, cassant. Rien n’est à cacher, tout reste à dévoiler. L’auteur laisse la plume tracer et retracer une vie sans s’emprunter de pudeur. Parfois crue, elle ne cherche pas à faire d’état d’âme.

A cinquante ans, Caro remet sa vie en question. Son petit équilibre de femme et d’épouse lui pèse, l’oppresse même. Elle veut plaire encore. Pourquoi donc une femme ne plairait plus sous prétexte qu’elle a atteint la cinquantaine « bien tapée » ou non ? « Il était temps à cinquante ans et des poussières de retrouver le fil qui m’a inéluctablement mené de la jeune fille délurée et bien roulée de mes vingt ans à la femme encore désirable mais moins sure de ses charmes vautrée devant son Macintosh. » Contre toute attente, elle se laisse séduire puis emporter dans la frénésie d’une vie à deux cents à l’heure.

De la lassitude d’une vie de couple et de mère bien rangée à la folie sexuelle débordante d’un amant beaucoup plus jeune qu’elle, elle va choisir l’amant.
Lui, c’est Bruno, libre, sans contrainte, et ne cherchant surtout pas à en avoir d’aucune sorte. Caro croit pouvoir jouer sur ce terrain mais c’est sans compter sur les sentiments qui vont prendre naissance en elle, malgré elle.

S’il y a bien une chose que l’on ne maîtrise pas, ce sont les sentiments. Ils apparaissent lorsqu’on s’y attend le moins. Et pour certains, rendant l’autre indispensable.

AIMER : UN BIEN PETIT MOT POUR DE SI GRANDES EMOTIONS...

Mais Bruno n’est pas de ceux qui se laissent capturer, ni même diriger. Il n’est pas non plus de ceux qui s’attachent. Des maîtresses, il en a quelques-unes alors que Caro souhaiterait être la seule ou presque, dans son univers.

Bruno n’accepte pas, lui rafraîchissant la mémoire sans délicatesse : « T’es gonflée de me demander ça alors que t’es mariée ! » Elle tente tout de même de le convaincre tout en sachant que c’est peine perdue : « Oui, mais moi je n’aurais qu’un seul amant tandis que toi tu navigues entre toutes tes femmes. »
L’un comme l’autre n’ont pas vraiment tort dans leur propos. Caro se laisse submerger dans l’attente de cet amant qui n’en fait qu’à sa tête.

L’amour pousse parfois un être dans ses derniers retranchements.

... ET DE SI PROFONDES DOULEURS PARFOIS !

Bruno fait partie de ces hommes beaux que Caro apprécie tant. Elle reconnaît sans faux-semblant que les hommes de sa tranche d’âge n’ont aucune chance d’avoir ses faveurs. Elle avoue sans complexe aucun : « la vue d’une calvitie ou même de quelques cheveux blancs rendait caduque chez moi tout projet de séduction. »

Caro et Gaëlle, son amie d’enfance, échangent leurs expériences, leurs points de vue, leurs idées. Elles sont en partie décalée l’une par rapport à l’autre, peut-être est-ce pour cela qu’elles s’entendent si bien. Et que rien ne les sépare très longtemps. Parfois seulement quelques heures entre deux appels téléphoniques. Chacune son tour remontant le moral de l’autre. Toutes deux sont dans le même dessein : un mari, un amant et viva la vie ! Avec ses avantages et ses inconvénients, ses plaisirs tentateurs et douloureux.

Caro en est là à savoir encore qui elle est sans plus se reconnaître vraiment. Bruno se joue d’elle, ne l’appelle plus. Elle est bouleversée par l’attente douloureuse et interminable, et la peur qu’il l’oublie. Elle ne veut pas être oubliée.

Et puis, il y a la psychanalyste chez qui elle se rend, qui l’écoute plus qu’autre chose mais sans lui apporter de réponse. Parfois cela la met hors d’elle, allant jusqu’à quémander un mot : « jamais de réponse sûre putain de merde et je paie pour ne pas savoir. Si seulement elle pouvait me dire que c’est ça le bonheur, je continuerais sur ce chemin » Malgré tout, lorsqu’elle ressort de consultation, elle ressent un bien être évident. Caro le reconnaît dans sa propre traduction : « Mon analyste révèle la source de mes angoisses, Gaëlle les fait vraiment disparaître, au moins momentanément »

Mais malgré cela, toutes ses questions demeurent. Questions existentielles !

LES QUESTIONS SONT ETERNELLES LORSQU'ELLES N'ONT PAS DE REPONSES !

Dans ce roman, on ne peut que se rendre à l’évidence, après la crise de la quarantaine bien connue, nous découvrons ici une crise de la cinquantaine turbulente. Cette dernière existe belle et bien chez les femmes également et que ce n’est pas un privilège uniquement masculin.

Caro met sa vie sans dessus-dessous sans épargner son mari dans sa tornade. Entre crises existentielles, remise en question et certitudes ébranlées, elle navigue entre son moi intérieur et ses conversations avec sa meilleure amie ou sa psychanalyste, son mari accroché à la bouée de sa vie. « Trente ans à bricoler l’affectif, à penser que l’unique guérison viendrait de maris et d’enfants en oubliant que j’existais encore. »

Comment se sortira-t-elle de cette crise ? Toute la question est là ! Revenir sur ses pas ou continuer sur cette voie où elle s’est engagée menaçant ainsi tout l’équilibre d’une vie bien rangée. La réponse est là, dans « La cinquantaine bien tapée » à lire d’une traite. A lire tel qu’il est écrit sans suffoquer, sans s’essouffler, sans s’offusquer non plus par les mots parfois crus mais en tout cas direct et sans faux-semblant, sans détourner le regard. On n’en attendait pas moins.

En faisant connaissance au fil des pages avec l’héroïne, on la découvre troublante et attachante dans cette perversion que l’esprit met parfois à nous perturber à certains moments fatidiques de nos vies.

A tous ceux qui ont gardé un esprit ouvert et qui ne reculent pas devant la brutalité des mots, des actes parfois aussi et dans la sexualité mise à jour sans artifice.
Texte franc et direct qui ne s’encombre pas de fioritures.

Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : La cinquantaine bien tapée
Auteur : Julie Saltiel
Editions : Editions Denoël
ISBN 13 : 9782207260081
Prix : 15,00 euros



lundi 6 avril 2009

Nuit d'hiver

« C’était avant la maladie, avant la jaunisse, il y avait de la neige, quelques mois avant donc, en février peut-être… « Joseph, joseph, viens là ! » L’enfant se lève, quitte son tabouret et avance vers sa tante. Une fois le gamin à portée de main et sans crier gare, elle le gifle à toute volée ! Elle se dresse et se cabre à la fois pour mieux l’atteindre, mieux frapper l’enfant qui se protège comme il peut. Elle lui arrache les mains du visage le griffant de ses ongles durs afin de lui asséner les gifles, les coups. Elle frappe, frappe, telle une damnée, la figure déformée par la haine. »
Extrait du livre

JOSEPH, DE L'ENFANT A L'HOMME...


Joseph est pianiste, tous les ans, il se rend à Prague après les fêtes de fin d’année durant lesquelles il a accumulé les récitals. Il se rend à Prague pour « être ailleurs, autre part. »
Cette année, alors qu’il attend le car qui n’arrive pas, il reçoit un appel de sa cousine Marielle sur son téléphone portable. Celle-ci lui annonce le décès de sa tante Jacqueline, de son surnom Sournoise. Il n’ira pas à l’enterrement puisqu’il va à Prague.

Pour cette tante qui l’a élevé, il ne parvient pas à avoir de peine, tout juste un soulagement.
Joseph part dans ses pensées. Il s’y revoie enfant, peut-être n’y aurait-il pas pensé s’il n’y avait pas eu cette nouvelle. Il se revoie lorsque Willy, son cousin, lui mettait la tête dans le lavabo, presque à le noyer.

Sa mère, Jeanne, n’était pas là. Sa mère défaite dans sa tête, profondément malade l’avait laissé là, chez sa tante « Sournoise ». Sa mère qui, finalement, n’en était pas une, « la maladie mentale qui détériore de mois en mois la personnalité de Jeanne. »

Mais, il aime l’école, joseph. Il y court tous les jours, c’est comme une fête. En tout cas, il y trouve la paix. Cette incommensurable paix qui le fait revivre où « règne un autre monde marqué par l’absence de menaces et de coups. » Sournoise ne se gênait pas, il en avait peur. C’était tout ce qu’elle lui inspirait de la peur avec « les claques faciles qui font mal d’autant qu’on n’en comprend pas la raison » et le cousin avec un tel exemple n’hésitait pas à jouer les costauds, les gros bras avec ses quatre ans de plus. Pour Joseph, à ce moment, cette vie était normale puisqu’il n’en connaissait pas d’autre.

Le car n’était toujours pas à l’approche. Joseph regarde autour de lui, capte quelques visages, entend quelques bribes d’une conversation proche de lui. Rien d’intéressant.
Il s’enfuit de nouveau dans ses pensées, ses jeunes années puis les autres. Il poursuit le parcours qu’il a commencé.

Il est vrai que lorsque l’on se trouve dans l’attente sans rien avoir à faire, il ne reste plus qu’à penser, l’attente paraît ainsi moins longue, elle a une petite utilité. Du moins, c’est un état presque instinctif. Dans la file d’attente d’un magasin ou d’une administration, si nous n’avons pas pris le soin d’emporter une occupation, un livre, des mots croisés…chacun se réfugie dans ses pensées presque involontairement. Joseph n’est pas différent.

LE PASSE DOULOUREUX EMPECHE PARFOIS DE VIVRE SEREINEMENT...
 
Il tentait de se raisonner en scrutant l’heure sur sa montre mais rien à faire. Lui qui d’ordinaire se souvenait avec difficulté de son enfance et de toutes ces horreurs entassées, aujourd’hui elles venaient s’immiscer de partout dans son esprit. La Sournoise avait quitté ce monde, aujourd’hui. Pourquoi pas un autre jour ! Et tout lui remontait de loin.
Allez ! Encore un petit tour au village où il revoie les hommes en béret et sabots, les percherons solides, « poitrails larges et musculeux, d’énormes genoux, la couronne dotée d’une petite crinière blanche recouvrant en partie les impressionnants sabots, les fers martelant l’amble. » Et puis, ces anciennes automobiles d’avant 1968, « les Panhard et autres Peugeot qui n’osent pas doubler et roulent au pas. »

Joseph est installé dans le l’autocar mais sans y être vraiment. Il est surtout par monts et par vaux sur les chemins « de sa vie d’avant. Elle s’est invitée et elle déverse de manière ininterrompue. Elle coule telle une grosse rivière de printemps. »
Il atteint par instants les périodes les plus douloureuses, les raclées et les coups de ceinture de son oncle qui grondait dans sa direction : « Viens ici que je te taouine la gaufre. » Il ne pouvait être plus clair, l’oncle. N’importe qui aurait compris ce qu’il voulait dire la ceinture à la main. Et Joseph ramassait les coups de cuir.

Enfin, l’autocar démarre. Joseph est content. Il s’imagine Prague, comme il l’a quitté l’année passée. Durant une semaine, il va déambuler au gré de ses propres vents, regarder vivre les gens, les écouter même s’il ne les comprend pas, ce n’est pas grave. Il va vivre libre parce que pour Joseph, « être à Prague, c’était être ailleurs. En tout cas à l’extérieur du sentiment de honte et d’illégitimité. »

VIVRE AVEC L'INACCEPTABLE... MAIS VIVRE TOUT DE MEME !

Très tôt il avait appris à ne pas pleurer, ne pas se plaindre, ne pas s’épancher au regard d’autrui, ni même aux siens, même « ce jour où il s’était retrouvé attaché à un arbre, les jambes barbouillées de bouse de vache, deux heures durant, il n’avait pas pleuré. » Joseph ne peut oublier. Le peut-on vraiment ?

Tant d’ancrage, tant de souffrance à l’heure de l’enfance qui aurait du être les plus belles années, sinon les meilleures. L’esprit n’oublie pas, cachant dans quelques recoins ce qu’il souhaite laisser de côté, jetant par-dessus des tonnes de souvenirs pour empêcher les mauvais moments de remonter à la surface de la conscience. Mais cela ne suffit pas. De l’enfant à l’homme, les souvenirs douloureux parsemés de courtes joies prennent le relais empêchant définitivement l’oubli. Comme le disait Jacques Brel : « L’oubli n’existe pas, on s’habitue c’est tout. » C’est tellement vrai, et Joseph en constate l’évidence chaque jour.

Il part à Prague pour une semaine, et dès les premières minutes où il attend son autocar il nous emmène avec lui dans son voyage comme dans ses pensées. Il nous fait trembler de tristesse mais aussi de compassion, de tendresse. Il nous donne envie de le serrer dans nos bras pour lui rendre un peu de cette enfance qu’il n’a pas connue, celle de l’amour familial, le vrai, qui met des étoiles dans les yeux, de la chaleur dans le cœur, du bonheur dans la vie tout simplement.


L’auteur nous transporte dans son univers sans aucune difficulté faisant ressortir toutes nos émotions et notre tendresse.
Quelques passages très difficiles d’une enfance malmenée, mais qui sont nécessaires dans ce roman qui, sinon, n’aurait pas tout son poids.
Un roman chargé d’émotions, parfois très fortes. Raconté d’une plume pleine de sincérité. On se prend de tendresse pour Joseph qu’on aimerait voir sourire, tant les multiples souffrances de son enfance nous touchent le cœur avec force.
A lire sans retenue aucune !

Marie BARRILLON

Informations sur le livre :

Titre : Nuit d’hiver
Auteur : Valère Staraselski
Editions : Le Cherche Midi
ISBN 13 : 9782749112947
Prix : 16,00 euros